La colère des agriculteurs doit être entendue et il est indispensable d’y apporter des réponses concrètes intégrant la complexité des problèmes qui se posent aujourd’hui dans le monde agricole. Il ne faut pas se tromper d’ennemi en considérant que les causes proviennent exclusivement de l’Union européenne et des mesures visant à relever le défi climatique et les enjeux de santé globale. Pour mieux comprendre la complexité et l’importance du mouvement il est utile d’entendre les voix qui expriment une volonté de questionner notre modèle agricole.
Une réalité plurielle
Dans son édition du 27 janvier, le quotidien Libération montre que tous les agriculteurs sont loin de vivre la même situation car les inégalités de revenus se sont creusées. En 2022 les 10% les plus pauvres ont un revenu négatif alors que les 10% les plus riches gagnent en moyenne près de 130 000 €. Les différences sont également importantes entre les types d’exploitation, les exploitations bovines présentant les revenus les plus faibles (20200 €) au contraire des exploitations porcines de la viticulture ou des grandes cultures qui se situent entre 47200€ et 56300€.
Une mise en cause de l’ultralibéralisme
Comme l’analyse la Confédération Paysanne, le monde agricole subit les conséquences de politiques néo-libérales, d’une course à la compétitivité et d’orientations favorables à l’agrobusiness et aux marchés mondialisés. L’exigence d’un revenu digne pour tous les agriculteurs passent par la remise en cause de décennies de libre-échange. Le mouvement nous est venu de France ou la coopération paysanne met clairement en cause le rôle de la première organisation agricole française, le FNSEA en l’accusant d’avoir « mené conjointement (avec le Gouvernement français) l’agriculture dans l’impasse actuelle d’un système économique ultralibéral, inéquitable et destructeur ».
Le libre échange
Les organisations agricoles dénoncent, à raison, la concurrence déloyale causée par l’entrée sur le territoire européen de produits à bas prix qui ne doivent pas respecter les mêmes critères de production que ceux produit dans l’Union européenne. Les autorités européennes doivent mettre en place des mesures contraignantes pour que les produits entrant dans l’espace européen soient soumis aux mêmes critères. Il nous faut néanmoins être cohérents, limiter les importations implique inévitablement de voir se limiter nos exportations. On ne peut refuser l’entrée de bœufs argentins tout en se félicitant de pouvoir exporter plusieurs milliers de tonnes de porc vers la Chine
Ne pas se tromper de cible
L’Union européenne consacre 33% de son budget à la politique agricole (58 milliards €). Ce serait une erreur de faire de l’UE un bouc émissaire. Le secteur a besoin d’une Politique Agricole Commune. Elle doit mieux soutenir les exploitations familiales, mieux prendre en compte leur réalité quotidienne et simplifier les législations de façon à les rendre compréhensibles et applicables. Une réforme en profondeur de la politique agricole commune est indispensable et passe par une remise en cause du modèle agricole dominant. Comme le réclame la Confédération paysanne « il faut s’attaquer aux racines du problème en offrant plus de protection sociale et économique aux agriculteurs et agricultrices ».
La voix de Via Campesina
Via Campesina, le mouvement paysan international dont fait partie la FUGEA demande des politiques agricoles basées sur la régulation des marchés, avec des prix qui couvrent les coûts de production ». L’organisation n’est pas favorable à la suppression des normes, consciente du fait que l’agriculture doit continuer à évoluer. Une « simplification administrative est nécessaire car beaucoup de procédures administratives et de normes sanitaires sont inadaptées à la réalité des fermes, mais ne nous trompons pas de cible ». Ce mouvement réclame également « un budget suffisant pour permettre la redistribution des aides de la Politique agricole Commune afin d’accompagner la transition vers un modèle agricole capable de répondre aux défis des crises du climat et de la biodiversité ». Via Campesina considère que « tous les agriculteurs qui ont déjà des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et tous ceux qui décident de s’engager dans un processus de transition agroécologique et plus durable doivent être soutenus et accompagnés sur le long terme ». Pour eux, « il est inacceptable que dans le cadre de la PAC actuelle, une minorité de très grandes exploitations reçoivent des centaines de milliers d’euros d’aides publiques alors que la majorité des agriculteurs européens ne reçoivent que peu ou pas d’aides du tout ».
Refuser l’instrumentalisation de la crise par l’extrême-droite
Cette voix doit être entendue. C’est d’autant plus nécessaire qu’aujourd’hui l’extrême-droite et les populistes illibéraux tentent de récupérer le mouvement. On le voit en France avec, notamment la stratégie de Zemmour. Peut-être plus inquiétant encore, le soutien accordé par le Premier Ministre hongrois, monsieur Orban qui, si l’on en croit le Financial Times du 25 janvier, a soutenu la manifestation du MCC Brussel. Orban ne rate pas une occasion pour lutter contre l’UE et s’allier avec les fractions politiques les plus à droite. Sa volonté affirmée est de créer une coalition d’agriculteurs européens. On devrait se questionner sur le sens de la critique du soutien à l’Ukraine au travers de l’importation de blé. Certes, ce n’est pas aux agriculteurs de supporter le poids de cette guerre mais quand la critique vient des amis hongrois de monsieur Poutine, on ne peut que s’inquiéter.
Répondre concrètement et intelligemment à cette colère est un impératif démocratique
Claude ROLIN 29/01/2024