Bien qu’écrits en 1919, les deux textes de Max Weber publié dans « Le savant et le politique »[i] donnent un éclairage particulier à l’actualité.
Le premier texte, « Le métier et la vocation de savant » Weber questionne la formation des scientifiques de son époque, mais surtout montre que la science ne peut répondre à la question fondamentale du « Que devons-nous faire ? Comment devons-nous vivre ? ». Il considère que dans les sciences « non seulement notre destin, mais encore notre but à tous est de nous voir un jour dépassés. Nous ne pouvons accomplir notre travail sans espérer en même temps que d’autres iront plus loin que nous. En principe, le progrès se prolonge à l’infini ». Max Weber critique vertement ceux qui se présentent en sauveurs ou en prophètes. Ceci peut nous donner à réfléchir et à appréhender différemment les débats et désaccords qui peuvent s’exprimer dans le monde scientifique.
Le second texte « Le métier et la vocation d’homme politique » donne un éclairage encore très actuel sur notre démocratie et sur la façon de faire de la politique. Après avoir défini ce qu’est le politique, il catégorise les hommes politiques. Pour lui, « tout homme qui fait de la politique aspire au pouvoir, soit parce qu’il le considère comme un moyen de servir d’autres fins, idéales ou égoïstes, soit qu’il le désire pour lui-même, en vue de jouir du sentiment de prestige qu’il éprouve ». On peut vivre pour la politique ou en vivre, les deux pouvant se conjuguer. Sa critique du rôle des chefs de partis est acerbe. Analysant le fonctionnement politique anglais de son époque il constate que « les parlementaires anglais… sont généralement réduits à la condition de bêtes à voter, parfaitement disciplinés ». Il poursuit en affirmant que « le parlementaire n’a rien d’autre à faire que de voter et ne pas trahir son parti, il doit faire acte de présence lorsque que le whip l’appelle et exécuter… ».
Son analyse porte sur une autre époque, mais je ne peux m’empêcher de sourire quand, au Parlement européen, les groupes politiques, avant les votes, distribuent aux députés ce que l’on appelle une « whip list » leur indiquant comment ils doivent voter. Whip est un mot anglais qui peut être traduit par « fouet ». Tous sont loin de s’exécuter, car le Parlement européen est certainement un lieu où les parlementaires peuvent, à condition d’avoir un minimum de courage, s’offrir la liberté de voter en conscience. Cette pratique démontre néanmoins une certaine conception du parlementarisme que l’on retrouve souvent dans nos parlements nationaux ou régionaux. Gare à celle ou celui qui ne respecte pas les consignes du parti, il ou elle doit savoir que son avenir politique peut être compromis.
Le propos de Weber devient encore plus acide quand il évoque la vanité de certains politiques, car « il ne peut y avoir de caricature plus ruineuse de la politique que celle du matamore qui joue avec le pouvoir à la manière d’un parvenu ou encore Narcisse vaniteux de son pouvoir ». C’était effectivement une autre époque, mais il est possible que notre regard se porte sur des politiques, en Belgique ou à l’étranger, qui ont, dernièrement, fait la une des pages de nos journaux ! Ceci dit, la critique de Weber, comme la mienne, ne vise pas une personne en particulier, elle vise « tout adorateur du pouvoir comme tel ».
C’est notamment dans cette conférence que Weber aborde les concepts d’éthique de conviction et d’éthique de responsabilité. Une question centrale pour comprendre les tensions qui sont inhérentes à l’action politique. Isoler l’une de l’autre conduit soit à vider de son sens l’engagement politique, soit à se réfugier dans un verbe aussi généreux qu’inutile.
[i] Max Weber, Le savant et le politique, 10/18, 2015