La semaine dernière, le Parlement européen aurait dû se prononcer sur la mise en place de la nouvelle Commission. Il n’en fut rien car trois commissaires doivent encore être désignés. La nomination des commissaires européens est un processus démocratique dont la plupart de nos gouvernements nationaux devraient s’inspirer. Contrairement à ce que certains pouvaient penser, les auditions auxquelles doivent se soumettre les candidats sont tout sauf une formalité. C’est une réelle épreuve à laquelle ils doivent se soumettre en démontrant leur parfaite intégrité ou l’absence de conflit d’intérêts ainsi que leur capacité à maîtriser les dossiers dont ils auront la charge.
Que trois candidats aient été refusés par le Parlement européen n’est certainement pas anodin, mais cela ne devrait pas provoquer autant de réactions polémiques. C’est simplement le signe du bon fonctionnement d’un processus démocratique.
En revanche, ce qui est étonnant, ce sont les réactions provoquées par l’échec de la candidate présentée par la France. Les grandes compétences de madame Sylvie Goulard ne peuvent certainement être mises en cause et comme députée européenne elle a fait preuve de son engagement européen. Ce n’est donc pas cela qui a conduit à son éviction. Cependant, il était difficilement imaginable qu’après avoir été contrainte à démissionner de ses fonctions de ministre de la Défense pour, notamment, un soupçon d’utilisation abusive d’assistants parlementaires, le Gouvernement présente sa candidature comme commissaire. L’Union européenne devrait-elle être moins rigoureuse que l’État français ?
Le mépris pour le Parlement
Les principales raisons de l’échec de cette candidature ne sont pas à chercher du côté des compétences de madame Goulard, ni même sur les dossiers instruits à son encontre et sur lesquels elle devrait pouvoir prétendre à la présomption d’innocence. La raison doit en être imputée à la stratégie du président français qui a clairement montré sa méconnaissance du fonctionnement du Parlement européen, mais surtout son mépris pour l’assemblée des représentants des peuples européens.
Lors du précédent scrutin, le Parlement européen avait obtenu une victoire importante en imposant le système des « Spitzenkandidaten [i]» comme un premier pas vers une plus grande légitimité démocratique du président de la Commission. Le président Macron, à juste titre, avait soutenu l’idée qu’une partie des députés devaient être élue sur une circonscription européenne. Il s’est appuyé sur cet échec pour s’opposer au système des « spitztenkandidaten » allant même jusqu’à mettre en cause les compétences du candidat du PPE estimant, outrage suprême, qu’il ne parlait pas le français. Le parlement mis hors-jeu, le terrain s’offrait tout entier aux négociations entre chefs d’État.
De son côté, la tête de liste de la REM, madame Loiseau, est parvenue en quelques jours à se mettre à dos de nombreux acteurs de son propre groupe politique en se montrant méprisante lors d’une interview dont elle espérait qu’aucun élément ne fuiterait.
Cousu de fil blanc
Dans ce contexte, il ne fallait pas être grand clerc pour penser que la candidature proposée par Macron allait poser problème. Finalement, tout ceci était très prévisible et ne mériterait pas que l’on y revienne s’il n’y avait eu les réactions du président français. Celui-ci n’a pas tardé à exprimer son courroux et son incompréhension. La première fautive était madame Van der Leyen qui avait choisi Sylvie Goulard dans la liste de trois candidats remis par Macron. Manque évident de courtoise et de diplomatie, mais pourquoi donc avait-il glissé ce nom s’il pensait qu’il pouvait y avoir un souci ?
Mais le plus révélateur se trouve dans la suite de ses déclarations. Comment était-il possible qu’après avoir reçu un hypothétique coup de fil de la future présidente de la Commission les présidents des groupes politiques n’avaient pas intimé l’ordre à leurs députés d’opiner en silence à ce qui leur était proposé. Les parlementaires seraient-ils juste là pour exécuter les ordres donnés par le président de leur groupe politique ? Cet épisode pose une question cruciale qui est celle de la place et du rôle des parlementaires. Des acteurs d’une démocratie vivante ou des presse-boutons au service d’une logique particratique ?
Rendre sa place au parlementarisme
Dans un moment où la démocratie représentative est questionnée, où de nombreux citoyens ne se sentent plus représentés légitimement, il est nécessaire de revivifier la démocratie en inventant de nouveaux processus participatifs et délibératifs comme les panels citoyens. Mais n’est-il pas tout aussi urgent de rendre sa place à l’institution parlementaire ? Si le rôle des parlementaires doit se résumer à être aux ordres de chefs de partis, autant ne plus réunir que ces derniers, chacun étant porteur d’un nombre de votes proportionnels aux résultats des élections.
Il appartient aux exécutifs de s’assurer d’un soutien suffisant de la part des représentants du peuple ? Cela passe par l’écoute et la délibération.
Certains défendent l’idée que sans la discipline de groupe il ne serait plus possible de gouverner. C’est oublier que la démocratie est, par essence, marquée du sceau de l’indétermination. Inconfortable, certainement, mais c’est le prix à payer pour la vitalité de nos démocraties.
Relever les défis sociaux et climatiques
Si la future présidente de la Commission veut pouvoir
s’appuyer sur une plus grande stabilité du Parlement européen elle aurait tout intérêt
à ne pas se contenter du seul soutien des groupes démocrates-chrétiens, socio-démocrates
et libéraux. Elle aurait tout intérêt à laisser la place qui lui revient au
groupe des verts d’autant plus que
l’avenir de la construction européenne dépend de sa capacité à relever les
défis sociaux et climatiques.